Les principes de la justice restaurative
La justice restaurative considère le crime comme étant avant tout une atteinte aux personnes et aux relations interpersonnelles, avant d’être une atteinte à l’autorité de l’État.
Cette conception du crime repose sur le constat que tous les humains sont « interconnectés », qu’ils entretiennent, depuis toujours, d’inévitables relations intersubjectives. Le crime, en atteignant les personnes blesse, voire brise, ces interconnexions. Le mal causé à l’un atteint tous les autres.
Le crime est aussi le symptôme d’un déséquilibre du réseau relationnel au sein duquel les individus évoluent, au sein de leurs communautés d’appartenance. Par conséquent, des responsabilités et des obligations mutuelles caractérisent ces interrelations et, lorsqu’un mal est fait, toutes les parties concernées doivent être impliquées et réparées.
En s’intéressant aux dommages eux-mêmes mais encore à leurs causes, la justice restaurative offre une grille de résolution et de régulation des conflits plus englobante que le système classique.
Selon Howard Zehr, la philosophie restaurative repose, en ce sens, sur cinq principes-clés d’action, tous organisés autour des valeurs d’interconnexion des êtres humains – sans nier les particularismes individuels – et de respect mutuel. Ils se combinent ou se substituent, au regard de la nature des mesures de Justice restaurative mises en œuvre, avec ou au sein du Système de justice pénale, selon qu’il s’agit de prendre en compte les conséquences et/ou les répercussions consécutives au crime.
Focaliser sur les dommages, les attentes et les besoins consécutifs, aussi bien des victimes que des communautés et des infracteurs
Contrairement au système classique, la justice restaurative ne se focalise pas exclusivement sur les normes violées au préjudice de l’Etat. Elle estime que le crime est avant tout un dommage causé aux personnes et aux communautés d’appartenance. Que l’infracteur soit ou non arrêté importe peu.
Tous doivent faire l’objet d’une réparation, y compris l’infracteur dont l’histoire est, pour nombre d’entre eux, marquée par des expériences traumatiques et une trajectoire sociale très précarisée.
Déterminer les obligations qui découlent de ces dommages
Atteinte aux relations intersubjectives, le crime est susceptible d’impliquer au-delà des personnes victimes ou infracteures. En ce sens, la culpabilité et la responsabilité de la personne infracteure ne se résument pas au prononcé et à l’application de la sanction prévue par la loi.
Les interrelations victime / infracteur.e s’inscrivent dans une situation très souvent complexe qu’il convient de modifier. Elles interviennent encore dans un contexte socio-culturel plus large dont il faut absolument tenir compte.
Il est essentiel alors pour tous de comprendre, d’admettre les dommages et de s’engager à les redresser autant que possible, tant au plan personnel, matériel que symbolique.
Mettre en œuvre des procédures d’inclusion, de collaboration
Dans la mesure où le crime a des impacts directs et secondaires, il importe d’inclure tous ceux qui ont eu à souffrir de ses conséquences et répercussions.
Une collaboration entre tous est nécessaire : les organes de poursuites et de jugement, l’infracteur.e, la victime et leurs proches, les membres de la communauté. Elle doit se manifester par des échanges d’informations, des rencontres éventuelles et, le plus souvent possible, par une réflexion commune sur la nature des réparations à mettre en œuvre et les conditions du rétablissement de l’harmonie sociale.
Impliquer tous ceux qui possèdent un intérêt légitime : victimes, infracteurs, membres de la communauté, société
Les magistrats occupent aujourd’hui une place centrale tout au long du processus pénal. A contrario, l’implication des acteurs directs de l’infraction demeure encore très insuffisante. On attend de l’infracteur qu’il reconnaisse sa responsabilité et assume sa peine. De la victime, qu’elle « confirme » la culpabilité de l’infracteur et apporte la preuve des préjudices subis.
Si ces marques de reconnaissance sont essentielles, elles ne doivent pas se limiter à cela. Les personnes victimes et infracteures doivent pouvoir s’exprimer sans réserve sur le crime, faire valoir l’ensemble de leurs traumatismes et de leurs ressentis (passés, présents et à venir).
Pour y parvenir – et selon les mesures envisagées – des rencontres associant victime(s), infracteur.e(s), familles, personnes de confiance, membres de la communauté et/ou professionnel.le.s concerné.e.s, devraient être favorisées pour permettre à chacun et à tous d’être impliqué(s), à la place qu’il(s) occupe(nt), dans la recherche des solutions pour sortir du conflit.
À défaut, chacun étant figé dans son rôle de victime ou d’infracteur, opposés par des stratégies d’oppositions imposées par le jeu du procès pénal, le conflit demeure et ses répercussions aussi.
Chercher à redresser la situation
Conformément à ce principe, il s’agit de tout mettre en œuvre pour que tous les dommages causés à la victime, à l’infracteur voire à la communauté soient réparés.
Il est de la responsabilité de l’infracteur de prendre une part active dans la réparation des dommages causés à la victime. La réparation peut être matérielle et/ou symbolique. Dans les cas les plus graves, pour lesquels une part d’irréparable demeurera le plus souvent chez la personne qui en a été la victime, tous les efforts déployés en ce sens sont généralement très appréciés.
Il est aussi de la responsabilité de la communauté d’encourager et d’aider l’infracteur à réparer la victime. Il faut aussi l’aider à se réparer lui-même dans de très nombreux cas. Certains ayant souffert de victimisations non prises en compte de manière satisfaisante par le passé, le passage à l’acte criminel peut alors être vécu comme une manière de se rendre justice ou comme la réactivation inconsciente d’un traumatisme ancien.
La communauté doit également combattre les facteurs de risque de nature à favoriser les passages à l’acte criminel, en participant à sa prévention. Ses membres doivent pouvoir participer à la réduction des facteurs de risque (ceux qui favorisent les comportements criminels) et, surtout, au renforcement des facteurs de protection (ceux qui évitent d’entrer dans la criminalité et encouragent le respect des lois et d’autrui), tels les mécanismes de solidarité et de soutien entre les personnes.
Les promesses de la justice restaurative
Les promesses de la justice restaurative pour la personne victime
Elle va pouvoir obtenir les informations dont elle a besoin, recevoir des réponses aux questions qu’elle se pose à propos de l’infraction : pourquoi est-ce arrivé ? Pourquoi moi ? Comment cela s’est réellement passé ? Qui est la personne qui m’a fait ça ? Que ressent-il.elle ? Que compte t-il.elle faire ? Ai-je fait quelque chose pour que cela arrive, aurais-je pu l’éviter ? Qu’a-t-on fait depuis ? Les questions du « pourquoi » et du « comment » sont fondamentales.
Les réponses apportées sont de nature à apaiser les peurs de la victime et à « (ré) » humaniser la personne infracteure, souvent perçue comme un « monstre ». La personne victime peut ainsi vérifier par elle-même, lors de la rencontre restaurative, la sincérité de l’auteur.e. Elle souhaite l’entendre assumer pleinement la responsabilité de l’acte et s’assurer qu’il réalise toutes les conséquences et répercussions qui en découlent, dont certaines persistent toujours.
Le crime a en effet privé la victime de ses biens, de son corps, de ses émotions et/ou de ses rêves. Elle doit être réparée autant aux plans personnel, matériel que symbolique.
Les promesses de la justice restaurative pour la personne infracteure
A l’égard de l’infracteur.e, la justice restaurative participe à sa responsabilisation, de nature à favoriser la reconquête de l’estime de soi et l’affirmation, plus généralement, de sa qualité de personne humaine.
La rencontre avec la personne qui a été la victime de l’infraction qu’il.elle a commis est essentielle. Le récit de ses souffrances et des répercussions de l’infraction sur sa vie est de nature à lui faire prendre conscience de la portée de son comportement et à le responsabiliser pour l’avenir.
En contribuant à les réparer, il.elle prend, lui aussi, part à la régulation du conflit. En accomplissant des actes positifs au bénéfice de la victime et de la communauté, il fait preuve de la sincérité de sa démarche de responsabilisation.
L’infracteur.e a aussi besoin d’encouragements et d’aide pour (ré)intégrer la communauté. Il.elle peut trouver ce soutien auprès de ses proches et des membres de la communauté, bénévoles agissant dans le cadre des programmes de justice restaurative ou, plus généralement, de toute personne intervenant dans le cadre de programmes d’action sociale.
Les promesses de la justice restaurative pour les communautés
Unies par un sentiment plus ou moins fort d’appartenance, d’identification réciproque, les communautés sont à comprendre dans leur dimension géographique locale, de voisinage, mais aussi ethnique et/ou culturelle, quand elles ne sont pas activées par un événement très particulier ou dynamisées autour d’associations voire de réseaux d’intérêts ou d’obligations mutuels.
Le crime, par ses impacts, a créé des besoins chez les membres impliqués. Or l’accaparement par l’Etat des poursuites pénales traditionnelles détruit chez les individus tout sens de la communauté.
Pourtant, les membres de la communauté ont un rôle à jouer tout comme la communauté elle-même doit assumer ses éventuelles responsabilités à l’égard des victimes, de l’infracteur et de l’ensemble des membres eux-mêmes. Elle prend concrètement connaissance et conscience des facteurs qui risquent de conduire au crime et s’investit alors davantage dans la consolidation du bien–être social, assurant par là même la prévention plus globale du crime. Et chaque fois que les membres de la communauté s’engagent dans la résolution d’un conflit, c’est le lien social qui s’en trouve renforcé.
C’est pourquoi les communautés attendent de la Justice qu’elle prête attention à leurs victimisations éventuelles, qu’elle leur offre des opportunités pour donner du sens aux notions de communauté et de responsabilité mutuelle, qu’elle les encourage à assumer leurs obligations quant au bien-être de leurs membres – y compris victimes et/ou infracteurs – et à développer des politiques qui favorisent des communautés saines et sûres.
Ce que la justice restaurative n’est pas
Avec beaucoup de pertinence, c’est Howard ZEHR qui a le mieux systématisé, dans l’un de ses derniers ouvrages, ce que la justice restaurative n’est pas. Il a eu le souci de rappeler que tous les programmes mis en œuvre ne sont pas automatiquement transposables mais que tous doivent respecter des principes de bases. De nombreux autres chercheurs et praticiens ont, après lui, contribué à expliciter ce que la justice restaurative n’est pas.
La justice restaurative n’est pas spécialement dédiée aux victimes
Ayant par définition le souci de tous, elle implique tous les protagonistes du crime qui s’estiment concernés : infracteur.e.s, victimes, leurs proches et communautés d’appartenance principalement.
La justice restaurative n’est pas un programme spécifique ou figé
Il n’existe pas de modèle idéal, transposable dans toutes les sociétés. Concept et pratique en construction, la justice restaurative doit s’adapter aux différentes cultures et être appropriée par elles : elle est une boussole, pas une carte. Au minimum, la justice restaurative doit être une invitation au dialogue et à l’innovation, dans le respect des droits humains et des principaux fondamentaux du droit criminel.
La justice restaurative n’est pas exclusivement tournée vers le pardon
La Justice restaurative n’est pas essentiellement orientée vers le pardon et la réconciliation. Si les mesures retenues offrent un contexte bien plus propice que le système pénal actuel, pardon et réconciliation demeurent toujours à l’appréciation, intime, libre et souveraine des participant.e.s.
Il est vrai que les Commissions vérité et réconciliation, telles que celle organisée en Afrique du Sud après l’abolition de l’apartheid, ont systématisé l’amnistie en contrepartie de la reconnaissance de l’ensemble de la vérité par l’auteur de crimes contre l’humanité. Ces pratiques relèvent de la justice restaurative appliquée à des situations de crime de masse. Elles participent également de la justice transitionnelle par laquelle une nation se dote des moyens d’accéder à la réappropriation de son histoire, à la démocratie et au retour d’une paix durable, dans la reconnaissance des victimisations subies. Or, si l’amnistie est souvent associée au pardon, un tel pardon symbolique, accordé par la nation à l’auteur.e du crime, n’efface en rien le pardon, intime et personnel, dont l’échange et l’acception – ou non – appartient aux seules personnes directement concernées.
La justice restaurative n’est soumise à aucun dogme religieux
Il est parfois reproché à la Justice restaurative de reposer sur des fondements religieux. S’il est incontestable que sa promotion contemporaine a été portée par des mouvements confessionnels divers, il deviendrait douteux d’en tirer argument pour condamner sa mise en œuvre. Il est permis d’espérer que de mêmes valeurs spirituelles, propres à notre humanité, sont aussi centrales et partagées dans un système de justice pénale démocratique et laïc.
D’un point de vue philosophique, plus globalement, la reconnaissance de l’humanité de chacun, de sa dignité de personnes, l’amour, la compassion, l’empathie, le respect de soi comme d’autrui, l’intégrité et la probité, l’égalité et la solidarité, l’intégration sociale harmonieuse de tous, la non discrimination pour quelque motifs que ce soit, notamment, sont fondamentalement les valeurs constitutives de notre Bien commun.
La justice restaurative n’a aucune ambition thérapeutique
Les bienfaits personnels de la justice restaurative sont désormais scientifiquement évalués, tant auprès des personnes victimes ou infracteurs, que de leurs proches ou de leurs communautés d’appartenance. Ces bienfaits sont d’ordre psychologique (réduction des peurs et des angoisses, responsabilisation vis-à-vis des comportements passés et à venir) et même physique (diminution des insomnies, réduction des addictions). Certains pourraient être tentés d’y voir la preuve que la justice restaurative relève d’un processus thérapeutique. C’est confondre en réalité processus et effets.
La justice restaurative, selon les spécificités propres à chaque mesure, s’inscrit dans un processus au cours duquel ceux qui y participent vont entrer en dialogue. C’est ce dialogue qui est l’objectif primordial de la rencontre restaurative, en aucun cas la transformation des personnes ou leur accompagnement thérapeutique. La rencontre, en ce qu’elle permet la (re)découverte de l’humanité de chacun, l’expression et l’écoute des ressentis de chacun, peut avoir des effets positifs pour les personnes. Ces effets ne sont néanmoins pas garantis. Ils ne sont recherchés que par les participants, dans l’intimité de leur personne.
La justice restaurative n’est pas exclusivement focalisée sur un résultat
Le processus mis en œuvre apparaît à l’expérience tout aussi bénéfique aux parties impliquées. Il peut, en ce sens, être mis fin au processus à la demande des parties, du médiateur ou de l’animateur selon les mesures, sans pour autant qu’il s’agisse d’un échec de la mesure en cours.
La Justice restaurative n’est pas exclusivement mise en œuvre à côté du système de justice pénale classique
La justice restaurative n’est ni une panacée, ni nécessairement un modèle destiné à remplacer le système pénal actuel. En effet, le crime présente une double dimension : publique et privée. Pour éviter que la dimension publique (de la compétence certes de l’Etat) ne l’emporte, il convient de considérer que le crime a bien davantage une dimension sociétale mais encore une dimension plus personnelle et locale.En considérant mieux la dimension individuelle, la justice restaurative cherche à atteindre un meilleur équilibre dans la manière dont est vécue, au plus près des intéressés, l’expérience de justice. Opérationnelle dans la régulation de tous les conflits, elle doit s’inscrire en complémentarité avec ce dernier en matière de crimes et de délits graves.
La justice restaurative n’est pas réductible à la médiation
La justice restaurative est assez différente de la médiation, telle qu’elle est mise en œuvre en France, dans le cadre de la médiation pénale ou de la réparation pénale à l’égard des mineurs, en tant qu’alternative aux poursuites.
Dans le cadre de la médiation pénale, la rencontre entre la victime et l’infracteur n’est pas toujours réellement choisie par les participants. De surcroît, la banalisation de certaines pratiques, peu professionnalisées, risque de conduire au partage des responsabilités, voire de à la honte qui sont attachées à l’acte criminel, en tant qu’acte.
La justice restaurative, contrairement à la médiation, peut être aussi proposée en cas d’absence, d’impossibilité ou de refus d’une partie. Dans le même sens, un « Cercle restauratif » peut être organisé lorsque l’action publique est éteinte, ne peut être introduite ou est insusceptible de prospérer.
La justice restaurative n’est pas exclusivement réservée au traitement des infractions de faible gravité
La justice restaurative ne saurait être essentiellement réservée aux infractions de faible gravité ou aux infracteurs primaires. Bien au contraire, les principes de justice restaurative, lorsqu’ils sont appliqués sérieusement par des professionnels spécialement formés, peuvent aussi convenir aux cas les plus graves.
Les évaluations scientifiques qui se succèdent soulignent que plus les faits sont graves plus les résultats donnent satisfaction aux participants. Il convient toutefois de prendre le plus de précautions possibles dans la préparation des participants, en particulier en matière de violences intra-familiales.
La justice restaurative n’est pas nécessairement une alternative à l’emprisonnement
Par les principes qu’elle promeut, la justice restaurative participe certes à la réduction du recours très abusif à l’emprisonnement. Mais les mesures de justice restaurative peuvent aussi être mises en œuvre en complémentarité ou en parallèle à la peine privative de liberté.
La justice restaurative ne vise pas exclusivement la réduction de la récidive
Quand bien même elle y contribue pertinemment, la justice restaurative n’est pas essentiellement dédiée à la réduction du récidivisme ou des infractions multiples.
Elle est en priorité mise en œuvre parce qu’il est légitime de prendre en compte les attentes et besoins des victimes et des infracteurs, d’encourager ces derniers à se responsabiliser, d’impliquer tous ceux qui sont concernés par le crime.
Les évaluations scientifiques soulignent toutefois que les mesures de justice restaurative conduisent à des résultats notables en matière de réduction de la récidive et, plus pertinemment, de désistance.
Elles supposent cependant que la participation à la rencontre restaurative repose sur la reconnaissance d’un certain niveau de responsabilité de la part de l’infracteur, sur la nomination de l’infraction et de la réalité de la victimisation.