Nous avons rencontré Christiane Legrand, Membre de la communauté depuis 2015 qui a participé à 3 Rencontres Condamnés Victimes (RCV) organisées par le Service Régional Ile-de-France. Elle est notamment intervenue au cours d’un atelier lors de la conférence internationale de l’IFJR « La justice restaurative en action(s) » qui s’est tenue les 18 et 19 janvier 2017 à la maison de l’UNESCO sur le thème « Les membres de la communauté dans les Rencontres Détenus-Victimes ou Rencontres Condamnés-Victimes : un soutien bienveillant au dialogue entre auteurs et victimes ». Cet interview reprend l’essentiel de son intervention.

 

Bonjour Christiane, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous ?

Je suis à la retraite depuis 4 ans, j’étais consultante en études de marché qualitatives internationales. Depuis 3 ans je suis visiteuse de prison à Fresnes et j’ai été bénévole Membre de la communauté (MC) dans 3 des 4 Rencontres Condamnés Victimes (RCV) organisées par le SRJR Ile de France de 2015 à 2017. J’ai eu la chance de pouvoir participer à cette belle aventure dès la première RCV qui a eu lieu en 2015. Les trois séries de rencontres auxquelles j’ai participé étaient toutes des rencontres condamnés/victimes, ce qui signifie que les personnes auteurs étaient suivies en milieu ouvert et les rencontres avaient lieu en ville. Je me permettrai également d’inclure dans  mon intervention les remarques que j’ai pu recueillir en rencontrant d’autres membres de la communauté avec qui j’ai échangé pour préparer cet atelier. L’une d’entre elles a participé à des Rencontres Détenus Victimes (RDV) c’est-à-dire des rencontres en milieu fermé.

Parlez-nous des Rencontres Détenus-Victimes/Rencontres Condamnés Victimes. Quelles sont ces mesures et leurs spécificités ?

En France les rencontres détenus victimes (RDV) ont débuté en milieu fermé à la Centrale de Poissy, elles ont été suivies à partir de 2015 par des rencontres condamnés victimes (RCV) qui concernent des personnes condamnées suivis en milieu ouvert. L’objectif de ces rencontres est d’offrir un espace de parole où, des personnes victimes et des personnes condamnées qui ne se connaissent pas, peuvent dialoguer librement sur les répercussions de l’acte commis ou subi. L’originalité de l’approche RDV/RCV réside dans la présence de membres de la communauté (MC), présence qui casse le couple pénal auteur/victime.

 

Qu’est-ce qu’un membre de la communauté ?

Dans les RDV/RCV, le membre de la communauté n’est pas un participant comme un autre, il n’est ni victime, ni auteur, il n’est pas non plus un professionnel comme les animateurs. Il va participer aux échanges comme les personnes victimes et les personnes auteurs mais il fait également équipe avec les animateurs lors de l’accueil des participants et des pauses. Le membre de la communauté est en position de charnière dans le groupe. Il montre, par sa présence, l’intérêt de la communauté pour les personnes victimes comme pour les personnes condamnées. Il ne représente pas la société mais il en est le représentant en tant que citoyen concerné par l’harmonie sociale et le devenir des personnes en souffrance dans cette société, quelles que soient les raisons de cette souffrance. Il a un rôle d’écoute majeur. Il est là pour encourager, soutenir, il s’implique personnellement dans l’échange. Il donne son ressenti par rapport à ce qui est dit. Il partage et chemine avec le groupe.

Quelle différence y a-t-il entre un membre de la communauté et un animateur de rencontres restauratives ?

Pour ce qui est des membres de la communauté et des animateurs, les postures de chacun doivent être clarifiées pour comprendre le fonctionnement des rencontres.
Lorsque l’on réfléchit à l’éventualité de devenir MC, on s’interroge spontanément sur le chevauchement possible des deux rôles mais en réalité, ce sont deux rôles très distincts.Les animateurs ont la charge de rappeler les règles du groupe (respect des personnes et de la parole de l’autre, rôle du bâton de parole, etc.) de veiller à une prise de parole équitable, de gérer les différents temps de la réunion (réunion plénière, pauses, gestion des retards/absences…), éventuellement de lancer des thèmes au cours des réunions MAIS ils ne participent pas aux échangesLes membres de la communauté, eux, ont pour rôle la participation à l’échange, l’intégration au groupe des participants, le partage des ressentis.
L’appellation « membre de la communauté », c’est une appellation qui ne parle pas d’elle-même. C’est mieux que « Représentant de la Société Civile », dénomination avec laquelle je ne me sentais pas du tout à l’aise .Cet engagementcertes peut s’entendre comme une démarche citoyenne mais je ne me sens pas représenter autre chose que moi-même. La communauté reste une notion qui n’est pas évidente en France et qui n’a pas le même sens qu’au Canada. En d’autres termes, l’appellation ne nous aide pas à rendre intelligible notre rôle mais on peut espérer qu’avec le temps elle fera sens.

Comment est constitué le couple de membres de la communauté avant les rencontres ?

Il existe une belle différence entre la théorie et la pratique.
Dans l’idéal, il faudrait que ce soit un homme et une femme (mais la grande majorité des bénévoles qui se manifestent aujourd’hui sont des femmes) ; de générations différentes ; de milieu socio-culturel différent.
Dans la réalité, nous avons été à chaque fois 2 femmes, parfois avec des différences d’âge, parfois pas, de même milieu socio-culturel.
J’ai remarqué que la composition du couple membres de la communauté ne semblait pas influer sur la construction de la cohésion du groupe.
Ce serait probablement différent si nous étions dans le contexte de violences conjugales, la parité hommes/femmes aurait alors un effet rassurant pour chaque sexe.
Cependant la composition du « couple membre de la communauté » a un impact sur notre comportement: par exemple dans une des RCV, les victimes étaient des femmes, les auteurs des hommes, et les membres de la communauté des femmes.
Il a été important de s’assurer pendant les pauses que les hommes participaient aux échanges, nous avons essayé d’inclure des sujets de conversations qui ne soient pas typiquement féminins.
Et surtout nous avons été encore plus attentives à manifester autant d’empathie aux participants hommes qu’aux participantes femmes.

Comment les membres de la communauté sont-ils préparés à une rencontre ?

Pour ce qui concerne mes expériences, nous avons été invitées (en fonction de nos disponibilités) aux réunions du groupe projet et avons suivi les progrès (et les difficultés) de la mise en place du processus.
Les profils des participants nous ont été présentés :
Un certain nombre d’informations sont importantes à connaitre pour se préparer à la relation que nous allons instaurer avec les participants :

  • les informations concernant les difficultés de certains pour prendre la parole   ou au contraire la propension d’autres à monopoliser la parole,
  • les éventuels problèmes d’audition, les problèmes d’élocution  (certains marmonnent plus qu’ils ne parlent, au moins au début des rencontres) 
  • le vocabulaire et/ou les capacités d’expression limitées etc.

Cela permet d’être vigilants, d’aller vers ceux qui ont le plus besoin de soutien et d’essayer d’engager la conversation en amont de la réunion pour créer un climat de confiance et favoriser la prise de parole.
En revanche je préfère ne pas avoir trop d’information sur l’histoire de chaque personne pour deux raisons : je suis ainsi à peu près au même niveau d’information que les autres participants et je découvre en même temps qu’eux les faits. Cela ouvre à mon sens à un vrai partage, à plus de sincérité. Cela me permet également d’être authentique dans mes questionnements : si je connais le détail du vécu de chacun, je pourrais être tentée soit de poser des questions, non pas pour comprendre mais pour faire dire des choses que je connais et que la personne omet de mentionner ou à contrario ne pas questionner parce que je connais déjà la réponse.
Cependant je dois nuancer mon propos sur ce point : Marguerite qui a été membre de la communauté dans les rencontres de Poissy, a un autre point de vue. En particulier pour les auteurs, le milieu fermé et la gravité des actes semblent rendre nécessaire une bonne connaissance des profils afin d’être prêt à gérer des tensions qui pourraient naître de la non divulgation de la totalité des faits ou de leur édulcoration alors que les autres détenus ont connaissance (par les bruits de couloirs, les indiscrétions) de l’ampleur des faits. Cela peut permettre également d’anticiper les tensions qui peuvent naître de faits commis et subis très similaires et très graves.

Comment les membres de la communauté sont-ils présentés aux autres participants lors des rencontres ?

Lors des rencontres préparatoires en groupe séparé, chaque participant et membre de la communauté se présente. Les membres de la communauté doivent donc expliquer les raisons pour lesquelles ils ont souhaité participer à cette mesure.
La consigne est de dire la même chose aux auteurs et aux victimes. On se présente à nouveau lors de la première rencontre plénière. Chaque membre de la communauté énonce ses motivations de manière brève.

Comment les participants à la rencontre perçoivent-ils votre présence ?

Les participants semblent ne pas bien comprendre au départ où nous nous situons, bien qu’ils aient été préparés à notre présence et que notre rôle leur ait été expliqué. La mesure s’appelle « RDV/RCV », les personnes  victimes viennent pour rencontrer des auteurs, les personnes auteurs viennent pour rencontrer des victimes. Les membres de la communauté sont là en plus, ils donnent de leur temps : je pense que nous sommes spontanément perçus comme bienveillants mais au départ l’apport de notre présence n’est pas toujours évident. Lors de la première rencontre certains ont dit  « ça ne me dérange pas que vous soyez là »…. Ce type de remarque donne, me semble-t-il, la mesure de la place qui est la nôtre dans ces rencontres. Elles sont révélatrices du rôle que nous avons à jouer : nous devons être présents mais en retrait, nous ne sommes jamais au centre de l’échange, nous apportons du soutien, de l’accompagnement, du partage. Nous devons garder à l’esprit que c’est leur rencontre, ils avancent à leur rythme : nous n’avons  pas à essayer de les emmener vers là où nous aimerions qu’ils aillent, ni à tenter de les faire avancer plus vite, ni à projeter nos propres objectifs.

Quel est le rôle d’un membre de la communauté ?

Nous sommes là pour nous occuper d’eux et les écouter avec bienveillance, c’est-à-dire que : 
Nous avons d’une part, un rôle d’accueil,  il est important de les mettre à l’aise lorsqu’ils arrivent, de discuter en attendant l’heure de la réunion, de discuter pendant la pause, de s’assurer qu’ils ont à boire et à manger, de veiller à ce que personne ne reste seul sans parler à personne, il faut également penser aux fumeurs et les accompagner dans leur pause cigarette. 
Cet aspect de notre rôle est plus essentiel qu’il n’y parait : cela aide à créer du lien,  à instaurer une véritable proximité, qui ont pour résultat l’établissement de relations sincères et authentiques.

D’autre part, nous participons à l’échange :

La parole n’est pas toujours nécessaire, il y a des séances où le membre de la communauté prend très peu la parole, en particulier lorsqu’il y a une forte interaction entre personnes victimes et personnes auteurs.
Dans ces moments-là, le langage du corps est vraiment important : nous ne sommes pas là en tant qu’observateurs (le risque serait d’être perçus comme voyeurs) mais bien dans le partage par l’écoute, l’empathie, le partage des ressentis.
La prise de parole est un point délicat, on se pose la question de la pertinence de l’intervention, on se demande si cela leur apporte quelque chose, si cela les aide à préciser leur vécu, leur ressenti, si cela leur apporte du soutien.
Nous avons souvent échangé sur la prise de parole dans notre petit groupe de membre de la communauté car lorsque l’on décide de devenir membre de la communauté et que l’on suit cette formation, la question de trouver la juste posture dans nos interventions est toujours très présente. J’ai essayé de donner quelques exemples de prise de parole pour illustrer ce point :

  • Faire approfondir un point pour mieux comprendre et partager le vécu/ le ressenti / le point de vue
  • Faire un commentaire par exemple par rapport à l’attitude des institutions vis-à-vis des victimes, ou le fait qu’en tant que membre de la communauté on n’a pas eu conscience de la violence vécue en prison ou de la violence des répercussions de l’agression sur la victime…
  • Questionner sur le vécu individuel lorsque que l’échange s’éternise sur des généralités (pour illustrer les différences de rôle : l’animateur à ce niveau rappellera qu’il faut parler au « je », alors que le membre de la communauté dans cette situation dira plutôt « mais toi qu’est-ce que tu ressens personnellement)
  • C’est également important de pouvoir prendre la parole lorsque l’on sent qu’une tension s’installe (par exemple si il y a une crispation du groupe vis-à-vis d’un participant en particulier, c’est le moment de lui manifester notre soutien). Il s’agit à ce moment-là d’avoir une intervention qui apporte de l’apaisement
  • en milieu fermé, cela peut être de remettre en place le principe de réalité et de relativiser la vision du monde extérieur (toujours sur le mode du ressenti du membre de la communauté).

Lors de la formation des membres de la communauté, il nous est dit que notre principale qualité doit être de « savoir être » : c’est un vaste programme qui justifie que nous nous interrogions beaucoup et soyons vigilants sur notre manière d’être tout au long des rencontres.

Quel est l’apport du membre de la communauté dans une rencontre restaurative ?

Même si les participants ne le formulent pas explicitement, je suis convaincue que la présence des membres de la communauté suggère aux personnes auteurs et personnes victimes qu’ils ne se réduisent pas à leurs actes ou à ce qu’ils ont subi, ils sont comme les membres de la communauté des membres à part entière de notre société.D’autre part, les membres de la communauté sont perçus comme un rempart entre les deux groupes, en particulier quand les actes commis/subis sont très graves, ils cassent en quelque sorte le couple pénal auteur/victime et l’idée d’un potentiel affrontement entre parties adverses.Lors de l’évaluation, les victimes qui ont répondu après la fin des rencontres disent percevoir les membres de la communauté comme un soutien dans des rencontres qui ne sont pas évidentes car susceptibles (au moins en image) de créer de l’agressivité. Ils facilitent la parole car elles savent qu’elles ne seront pas jugées.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris lors des rencontres auxquelles vous avez pu assister ?

Cela ne se passe jamais comme on le pense : c’est tendu quand on pense que ce sera calme, les discours se débloquent lorsque l’on s’y attend le moins.
Les personnes se révèlent de manière inattendue : une leçon que je retiens de mon expérience est qu’il faut prendre le temps de découvrir les autres et que cela prend du temps de se révéler aux autres.

Comment s’articulent les relations entre membres de la communauté et animateurs ?

Nous avons des discussions informelles après chaque séance : chacun fait un bref bilan sur le vécu de la séance et la perception des différents participants, c’est le moment où l’on peut éventuellement discuter de nos hésitations par rapport à nos prises de paroles, des éventuelles attentes non satisfaites des animateurs, des améliorations à apporter.
Avec le SRJR Ile de France et les SPIP 95 et 94, nous établissons des fiches bilan de chaque rencontre. Ces fiches sont réalisées par les deux animateurs et les deux membres de la communauté. Après chaque séance, elles permettent de faire le point sur notre perception de la logistique, du contenu de la rencontre, des auteurs, des victimes, des membres de la communauté, de l’animation, du bilan en groupe séparé. C’est le moment de faire part des éventuelles difficultés rencontrées, et de définir les attentes pour la prochaine séance.
Cela permet de comparer nos vécus, de communiquer de manière plus formelle et avec un temps de réflexion (vs les discussions à chaud après chaque rencontre) sur la perception des membres de la communauté par les animateurs et des éventuelles attentes pour la prochaine séance. C’est l’opportunité également pour les membres de la communauté de faire part de leurs interrogations, de soulever des questions, de faire remonter les difficultés rencontrées ou les éventuelles inquiétudes vis-à-vis d’un participant. Cela permet de créer un véritable esprit d’équipe, d’enrichir les pratiques, d’adapter les interventions aux problématiques qui se font jour dans le groupe (par exemple, le besoin de soutien/ de stimulation d’une personne particulière dans le groupe ; le besoin de tempérer une autre)

Que retenez-vous de cette expérience ?

Nous donnons du temps et de l’écoute mais nous recevons tellement plus : ce sont des rencontres improbables qui permettent de dépasser les clichés et de découvrir les personnes au-delà de leur « étiquette » auteur ou victime. La communication se créé de manière authentique et sincère et met en lumière les potentiels de tels dialogues dans notre société. Cela ouvre également à un nouveau regard sur le fonctionnement (ou le dysfonctionnement) de nos institutions. Ce sont de belles rencontres dont nous sortons plus riches et encore plus convaincus des bénéfices de l’écoute et du dialogue.

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